Histoire(s) de la Dernière Guerre

Il y a 70 ans

Le 25 Avril 1954

Au sommaire du n°18

LES ARMES CHIMIQUES ET BIOLOGIQUES
DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE,
NAISSANCE DE LA DISSUASION
OPÉRATION « ANTHROPOID »
L’ASSASSINAT DE REINHARD HEYDRICH
STOPPER YAMAMOTO !
LES BATAILLES DE LA MER DE CORAIL
ET DE MIDWAY
DOSSIER : LA VICTOIRE DE ROMMEL ?
...

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Revue de presse

A lire dans la Croix

La CroixLa Seconde Guerre mondiale au jour le jour voilà un créneau original proposé par une nouvelle revue d'histoire....

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JEAN-LOUIS CRÉMIEUX-BRILHAC RACONTE

Entretien avec Thomas Rabino dans Histoire(s) de la Dernière Guerre n°5

L’hôte de ces pages s’est très jeune passionné pour les débats de son temps : une IIIe République en proie aux assauts de l’extrême droite puis la victoire du Front populaire en 1936 éveillent en lui autant de révolte que l’espoir. Élevé dans une famille ardemment démocrate, dont plusieurs membres se sont illustrés au service de la République, il a tôt fait de choisir son camp, celui du combat, mené pour une certaine idée de la liberté. La débâcle de 1940 enracine cette ligne de conduite qui, des champs de bataille au Stalag, en passant par les prisons soviétiques puis Londres, le propulse, à 24 ans, aux postes de secrétaire du comité exécutif de Propagande et de chef du service de diffusion clandestine de la France libre. Après une carrière de haut fonctionnaire, Jean-Louis Crémieux-Brilhac fait oeuvre d’historien et publie notamment, entre 1990 et aujourd’hui, Les Français de l’An 40, La France libre, Prisonniers de la liberté : l’odyssée des 218 évadés par l’URSS, et Georges Boris. Trente ans d’influence. Intervenant écouté de nombreux colloques, il nous offre le récit d’une expérience unique et la clairvoyance de ses réflexions.


Histoire(s) de la Dernière Guerre (HDG) :
Pourriez-vous nous décrire votre milieu familial, ses orientations politiques ?

Jean-Louis Crémieux-Brilhac (JLCB) : J’ai eu la chance d’appartenir à une famille politisée, républicaine, socialisante, forte d’une tradition démocratique qui remontait à la Restauration. J’ai vécu dans un foyer où coexistaient curieusement mon grand-oncle maternel, un avocat connu à l’époque, député radical du Sud-Ouest pendant assez longtemps, et mon père, socialisant, qui avait une très grande culture politique. Les conversations de table me faisaient participer très tôt à des débats. D’autre part, mon oncle Benjamin Crémieux était un critique littéraire connu, démocrate engagé, secrétaire général de la section française du PEN Club international, en relation avec tous les écrivains démocrates d’Europe, dont il m’a fait rencontrer certains, comme André Malraux ou Stefan Sweig, alors que j’étais lycéen. Dès l’âge de 15 ans, j’avais le coeur à gauche. J’ai été un étudiant très passionné du Front populaire.

HDG : La montée du fascisme et les menaces de guerre ont dû vous inquiéter au plus haut point...

JLCB : À 14 ans, en 1931, donc avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, je passais tous les ans une partie de mes vacances en Allemagne, dans une famille socialiste. J’ai vu, année par année, croître le pouvoir hitlérien et la mainmise sur une population qui n’était pas totalement devenue hitlérienne. Cette famille a été cruellement touchée. J’ai été à la fois très antifasciste et pacifiste jusqu’aux accords de Munich, en 1938. J’étais étudiant à la Sorbonne, dans une faculté de Lettres alors plutôt orientée à droite, avec comme condisciples Jean-François Gravier, très marqué à droite, et Philippe Ariès, alors royaliste, que j’ai entendu dire, devant moi : « Un Juif, je le sens. »

HDG : Vos origines israélites ont-elles joué un rôle dans cette sensibilisation au péril nazi ?

JLCB : Je n’en suis pas certain, aussi étrange que cela puisse paraître. C’était l’aspect totalitaire du nazisme qui primait. Mon oncle, qui était agrégé d’italien, avait connu la montée du fascisme en Italie. Il était lié à tous les chefs antifascistes réfugiés en France, notamment Carlo et Nello Rosselli, qui ont été assassinés par la Cagoule en 1937, à Bagnoles-de-l’Orne.

HDG : Incorporé à la déclaration de guerre, pouviez-vous alors concevoir l’idée d’une défaite ?

JLCB : Ce n’était pas inconcevable, même si le schéma d’une Armée française réputée invincible était dominant. D’un autre côté, ce que j’ai vu à Saint-Cyr, et ce que j’ai vu de l’opinion publique à travers mes soldats, quand j’étais chef de section, m’a interpellé. J’ai été mobilisé à partir du 16 septembre 1939, et envoyé au dépôt du Mans, avant Saint-Cyr, pour être officier de réserve. Nous arrivons au Mans, 2 000 étudiants, et on nous distribue les uniformes : le long des bâtiments, du premier étage, par une fenêtre, sont jetées des capotes, par une seconde, des culottes, par une troisième, des bandes molletières, le tout bleu horizon délavé, ayant servi à je ne sais combien de générations. Dans la cour, un tas de casques de 2 mètres de haut, à chacun de se débrouiller. À quoi s’ajoute le fait qu’on nous couche sur des châlits envahis de puces, et qu’un tiers du contingent est malade parce qu’on nous a servi le rata dans des marmites sales. Cela ne donnait pas une idée très reluisante de l’armée.

HDG : Quid de Saint-Cyr ?

JLCB : Saint-Cyr, c’était plutôt « collège anglais », très bien encadré, des offi - ciers (lieutenants et capitaines) remarquables, 400 grammes de viande par jour, une piscine superbe. Mais cet enseignement ne nous apprenait pas qu’il y avait des avions contre lesquels il faudrait se défendre : on nous entraînait à tirer avec un fusil muni d’une petite grille pour tenir compte de leur vitesse. On ne nous avait pas appris qu’il y avait des chars contre lesquels il faudrait se défendre… On nous a montré un canon de 25 antichar, sans nous expliquer comment nous en servir. Nous n’avons jamais fait de manoeuvre avec char…

HDG : Quel était le moral des troupes ?

JLCB :J’ai été promu aspirant et affecté à côté de Rennes, avec des recrues bretonnes de 25 à 35 ans, qui ne savaient pas pourquoi on faisait la guerre. Manquaient, dans leur esprit, les deux éléments moraux qui la justifi ent : d’une part, ce n’était pas une guerre nationale, puisque la France n’était pas menacée. D’autre part, ce n’était pas non plus une guerre idéologique, puisque à aucun prix on ne voulait critiquer les fascismes, de peur de faire de la peine à Mussolini, et peut-être à une certaine opinion française.

HDG : Vous sentiez donc que la préparation n’était pas optimale…

JLCB : Un autre exemple : beaucoup de soldats avaient perdu l’habitude de marcher. Nous faisions donc des marches, avec tout le barda… et le règlement prévoyait que le sous-offi cier, chef adjoint de section, marche devant, et que l’officier de section marche avec le dernier rang. On arrive à une patte d’oie, où se situait un bistro, ouvert. Et je vois l’avant de ma colonne qui y entre. Je me précipite, d’autant plus que c’était un jour de fermeture des débits de boisson. Je les fl anque à la porte à coups de pied dans le derrière, et je dis à la patronne : « Madame, je vous fais fermer huit jours. » À mon retour, je fais un rapport. Peu après, le commandant de la garnison de Rennes me convoque : « Jeune homme, il faut vous rendre compte qu’ici, les gens ne sont pas très bien formés, c’est un peu une habitude. »

HDG : Qu’en était-il des officiers ?

JLCB : J’ai été affecté sur le front du Nord-Est, dans les tranchées, à l’extrémité Ouest de la ligne « Maginot ». À mon arrivée, je suis invité à déjeuner par mon commandant, un peu à l’arrière, dans un village. On bavarde, et puis je demande : « Quand est-ce que les choses vont devenir sanglantes ? », ce à quoi il répond : « Il y croit, le jeunot ! » Pour lui, la guerre n’allait pas vraiment éclater… C’était un régiment de catégorie B, de réservistes déjà plus tout jeunes, d’offi ciers qui n’étaient pas de premier choix, mais quand même ! Je réalise donc qu’il a de graves faiblesses. Quand l’attaque allemande s’est précisée, on a reculé, par étapes, jusqu’à la Marne, où l’ordre à été de défendre notre position sans esprit de recul. Nous l’avons donc défendue sans esprit de recul, sans artillerie, sans chars, contre un ennemi qui avait de l’artillerie, appuyée par des bombardiers en piqué, les Stukas. Quand, pour la première bataille, on les a entendus, avec leurs sirènes hurlantes, et visant bien, c’était impressionnant.

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